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Ces textes ont été rédigés entre février et avril 2018, lors des ateliers en lien avec l'exposition RETOURNER L'ENVERS  de Nadine Lahoz-Quilez à la Mostra.

Une retranscription lue en a été présentée lors de la clôture de l'exposition.

Histoire de poils

Histoire de poils ! Atelier d’écriture, contrainte : elle nous donne douze mots et il faut en choisir dix. Dix ! Pourquoi dix ? Pourquoi pas cinq, trois ou huit ? c’est bien une idée de bonne femme ça ! et en plus pas le moindre bout de poil, aucun cheveu, nul cil, sourcil, barbe, rien sur la moustache… Rien ! Mais à la place : divinité, femme poisson verdâtre au sang noir, il ne nous manque que Pénélope, Achille et Milou et hop ! elle nous réinvente Tintin à la guerre de Troie !
Et au milieu de ce galimatias, un verbe, en allemand, tant pis : imazighen. Imazighen qui pourrait se définir comme zigouiller l’image, ou à peu près. Verbe qui fut abusivement ressassé dans une chanson tristement célèbre : « Imazigue all the people… »
On a enfermé des gens pour moins que ça !
Histoire de poils, soyons sérieux ! il paraît que les chimpanzés ont le même nombre de poils que nous autres humains. Je n’y crois pas une seconde. Les chimpanzés n’ont pas de poil dans la main.
Les poils servent aussi de gouttière pour améliorer l’écoulement de l’eau, en particulier l’eau de pluie. Partant de ce constat les indiens d’Amérique ont confectionné des franges aux manches de leurs vestes, tels des poils en cuir, pour qu’elles sèchent plus vite.
Au moins ça c’est une histoire vraie.

Eric, février 2018

Le Follicule pilo-sébacée

Devant cette œuvre je me sens… à l’école, à la Fac plus exactement, sur les strapontins de bois, au fond de l’amphi, entre Mireille et Martine. Devant il y à Jacques et sur le tableau, le follicule pilo-sébacée. Dessiner ? Non… aucun intérêt ! On le retrouvera ce schéma, complet, poil, sébum et acné ! on retrouvera tout ça dans les livres, pas la peine de regarder. Sébacée c’est assez. C’est Jacques qu’il faut regarder. Je me sens bien. Follicule sébacée ou ovarien. Follicule pileux et fol amoureux. Folles années qui sont passées. Follicule sécrétant et rêve d’amant. Je me sens bien. Laissez moi face à cette œuvre, laissez moi là devant, je n’y suis plus, je suis dedans.

Haiku

3 MOTS : noyaux / dessiner/ année
Recueillir toutes ces années
En extraire le plus beau, le noyau
Et devant vous, le dessiner.

La veste du bagnard

Le vêtement est posé là, face à vous. La carrure est large, une tenue d’homme. Une veste, peut-être une chemise, fermée, intacte.
Intacte dans son contour, pas de déchirure, pas d’ouverture, des filaments imputrescibles cadenassent cette défroque de haut en bas, des épaules aux poignets. Le col aussi, raidi, boutonné, ferré.
Des fibres et rien d’autres, le reste a fondu, disparu, inutile.
Et derrière cette toile tissée, se tient, prisonnier, le corps. Le corps de l’homme. Il est là, allongé sur le dos. Les bras légèrement écartés, les mains qui sortent des poignets, la paume face au ciel. Le visage aussi, qui émerge de l’encolure et les yeux, les yeux qui vous regardent.
L’effroi du regard.
Le corps immobile, qui respire, respire derrière le vêtement qui le condamne, derrière les fils qui le verrouillent.
Fil imputrescible, barreau inaccessible, barreau, barreau, bagne, barreau… La veste du bagnard…

Marisa, février-mars 2018

Enfilez cette chemise de soie blanche, soie si douce pour votre peau, si bien mise en valeur par votre abondante chevelure noire mais cachez ce poil, cette animalité, que je ne saurai voir et qui, pourtant me subjugue !
Tatouage imazighen sur votre cheville, géométrie, broderie, si troublant. Et votre regard de feu, ah votre regard ! Et votre main, ah, votre main ! Vos doigts déliés si fins, si féminins. Sont-ce ces mains qui ont fait jaillir du sol ces éclatantes jacinthes, ces délicates jonquilles ? Est-ce vous qui avez planté ces bulbes charnus et féconds, seins où goutte encore le lait, sève nourricière ? Dieu que la nature est belle!
Mais sachez, belle de jour, qu’une nuit, quand surgira un sang noir, lorsque s’annoncera la mort, tout s’enfuira, plantes, hommes, bêtes et femmes.

La pièce maîtresse de Louis Vuitton était la chemise de soie blanche qu’il avait offerte à Antoinette, sa jeune maîtresse. Cette matière, la soie était issue d’un vers charnu, insecte banal, commun et répugnant. Mais comment diable l’homme avait-il eu l’idée de l’ébouillanter puis de tirer ce fil quasi transparent ? Et pourquoi pas le fil d’Ariane celui d’une épeire diadème, d’une latrodectus, d’un fin faucheux ou même de la délicate thomise blanche ? Tant de si frêles araignées peuplent la terre !
Frêles araignées comparables à ces squelettiques mannequins… et toi, Antoinette, si dissemblable, si bien en chair, comme j’aime ton corps où ma main se perd dans les replis si doux, si tendres de ton ventre, de tes cuisses, de ton callipyge fessier, de tes seins volumineux où j’enfouis ma tête. Mais pourquoi ces tops-modèles ne sont-ils pas faits à ton image? Pourquoi tous ces os saillants, cette absence de pilosité alors que rien n’est plus doux que la fourrure de ton pubis, que les poils de tes aisselles ? L’érotisme de ta toison fait monter en moi des images de bêtes enfiévrées.

Liberté du cœur
Vent de folie dans ma vie
Où est ma raison ?

Fusion de ma peau
Fourmillement de plaisir
Vif plaisir du cœur

La belle

Me voici enfin libérée de ce carcan, de ce symbole suprême de la féminité qu’était ma lourde et noire chevelure !
Je vais enfin pouvoir chevaucher l’alezan de mon frère, mort à la guerre. Pouvoir prendre sa place auprès du foyer. Je me sens si forte à présent ! Je suis l’aînée.
Chaque jour je raserai le moindre poil sur mon crâne
Je vais pouvoir décider ce qui est bon pour les miens, ma famille, mon clan et cesser enfin cette guerre insensée.
Chaque jour nous serons libres.

La bête

Ah ! Je suis morte ! Le grand chasseur vaudou m’a tué. Il m’a dépouillé de mon enveloppe corporelle.
Ah ! La douleur !
Ah ! Le bonheur !
Mon esprit s’envole et survole la plaine à la recherche d’un noir corbeau. Emportera-t-il mon âme jusqu’au soleil, Dieu le père de toute chaleur ici-bas ?

Martine, février-mars 2018

Zone des Tatouages

Elle regarde son tatouage, elle passe un doigt dessus. Il est si vieux. Les couleurs sont passées, les contours ne sont plus nets. Mais il garde encore tout son pouvoir, elle le sait. Elle le caresse, tout en inhalant et exhalant paisiblement et elle sent peu à peu une force qui monte en elle. Oui, son courage est toujours là, intact. Nul besoin de le prendre à deux mains. Elle va agir tranquillement, sans précipitation, mais sans hésitation non plus, sa décision est prise.
Elle choisit dans le placard une valise moyenne, elle y rassemble sereinement quelques vêtements et chaussures, quelques affaires de toilette, quelques livres, 1 ou 2 bibelots. Puis elle jette un dernier œil à la pièce, ouvre la porte et s’en va.

Zone des patrons (haiku)

Ils nous en imposent
Ces grands patrons dégueulasses,
et nous désemparent.

Sur l’exposition en général

Epilation

Non, impossible, je ne pourrais pas, je n’y arriverai pas. Je sais bien que c’est la nature qui veut ça, que si ces poils recouvrent ma peau c’est pour me protéger, que cela ne fait pas de moi une bête pour autant. Mais comment imaginer sa main sur cette toison épaisse sans imaginer aussi sa répulsion? Non, je n’oserais pas me dévêtir, c’est sûr. C’est au-dessus de mes forces.
L’épilation. C’est la seule solution ; il faut m’y résoudre. Tant pis pour le dicton qui conseille de ne pas se découvrir d’un fil, je vais éliminer toute cette fourrure qui lui sera, c’est sûr, détestable. Et qui sait ? Sans poils, avec mes cils recourbés, je peux créer l’ambigüité. Il parait que de nos jours les femmes aiment les hommes avec une pointe de féminité….

Sur la chemise

Présence liquéfiée

Quand je l’ai vue, j’ai vacillé. Mes jambes se sont mises à trembler, mon cœur s’est emballé. On distinguait comme une silhouette au milieu du couloir obscure, d’un gris lumineux. Je ne comprenais pas ce que je voyais ; on aurait dit un vêtement en suspension mais en même temps une chevelure flottant au vent. Je ressentais comme une présence, une présence en train de se liquéfier.
C’était sûrement un fantôme, ou un esprit…. Je n’y suis jamais retournée.

Carole, février-mars 2018

Mot imposé: montgolfière

Monsieur le Président,
Messieurs de la Cour,
Mesdames, Messieurs,

Quelques mots sur mon client

Monsieur Tif ne vécut pas à l’abri d’une culotte de soie : il grandit en cuir.
Déjà bulbe, il me confiait devoir se défendre contre ses voisines sébacées,
cernantes, envahissantes qui souhaitaient l’étouffer.

Petit follicule, Tif résista, grandit, perça cuir et derme. Manque de chance,
une bande de malfrats – pellicules dont vous connaissez la triste réputation – repéra sa faiblesse:
Il fut plaqué, collé, racketté.
Chez lui, pas de réconfort, il n’était pas aimé, pas défendu. On le disait plat, fin, mou, fourchu, terne.
Il fut maltraité, ventilé à 60°, tressé, tordu, tiré, ciré, crêpé, laqué comme un vulgaire canard, mais il resta toujours vivant.

Terne, il était ? Qu’à cela ne tienne, on le dépigmenta.
Il devint blonde, Monsieur le Président.
Mais cela n’y suffit pas. Le supplice dura plusieurs heures encore.
Il vira jaune, vert, il faillit mourir.
Enfin devenu platine, pâle et fragile comme une opaline,
La chimie eut raison de lui
Touché à sa moelle, il se plaqua
anéanti, des mois durant.

Aujourd’hui le voici devant vous pour un “emprunt » de montgolfière.
Avec quelques comparses, les épis, au renom bien sulfureux pour des petits rebelles de zone,
ils avaient naïvement imaginé s’envoler pour un monde meilleur
Un projet de désespérés, une chimère.
C’est pourquoi je vous demande, Votre Honneur, la relaxe de Monsieur Tif
Sous contrôle de soins réguliers.
Une chance de blanchir sereinement.

Monique, février-mars 2018

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